Barcelone, « Ciudad de Luz* »
Barcelone, ville lumière, ville difforme au cent mille cubes. Elle s'annonce aux visiteurs comme une chorégraphie qui dévoile au fur et à mesure ses contours, ses ondulations, ses mouvements et ses couleurs. Son masque de plâtre semble l'observer de loin, la pupille toujours en alerte.
Depuis des années, elle accepte en son sein beaucoup de voyageurs et de touristes, mais elle se révèle être une danseuse capricieuse. Elle roucoule sous sa cape avant de se découvrir cantatrice. Elle soulève un peu sa jupe pour mettre à nu ses chevilles, puis elle lance des colombes à la rencontre du visiteur éveillé. Ce dernier, alors charmé par cette soudaine lumière, continue sa quête de Barcelone. Il trouvera de temps en temps sur son chemin, les pierres, les enfants de la montagne, vous savez, la femme couchée derrière Barcelone, sa mère terrienne. D'autres fois, elle l'éblouira de paillettes astrales et mettra à jour des parcours insolites, des rues au ventre gonflé, et d'autres, étriquées telles des aiguilles.
Barcelone bouleverse par son architecture. Sa poitrine, sa gorge et sa tête dorment paisiblement dans des quartiers résidentiels à la couleur du miel et participent au repos des bienheureux. Elle tend sa main éternelle vers sa mère couchée, là où ciel et terre s'embrassent et s'embrasent, là où la terre se mélange à la pierre, là où la nature sauvage semble jouer au chat et à la souris avec sa petite sœur, la nature urbaine. Gaudi a su exacerber leurs traits et leur caractère. On peut voir de cette main les pieds de Barcelone se baigner dans la Méditerranée. En tant que voyageur ou simple visiteur, il sera traversé par un soudain sentiment de liberté et de voyage. La terre grondera derrière son dos et sous ses pieds. Au-dessus de sa tête, le ciel l'assommera de sa lumière, et la mère s'étalera devant son regard comme une invitation. Douloureux sentiment de plénitude et d'angoisse... Barcelone est ainsi.
Elle a du caractère ! Tant visitée, tant piétinée, elle n'est généreuse que dans son mystère. Au moment où le voyageur pense avoir touché son écrin, sa coquille se ferme et elle vous emporte vers d'autres chemins. Il ne faut pas lui en vouloir. Elle n'est pas mauvaise, seulement triste de ne plus prendre ce navire, de ne plus entendre l'écho de sa voix sur les mers et les océans. Le monde a changé, mais l'esprit de Barcelone reste le même, universel ! Une ville est comme un être humain. Elle évolue comme l'homme, suivant les siècles et les bouleversements des sociétés. Mais l'esprit d'une ville ne change pas. C'est étrange, n'est-ce pas ? Lorsqu'une ville est devenue creuse, que son atmosphère est pesante, qu'elle semble éteinte et sans vie, c'est que l'homme lui a retiré son âme. Ce n'est pas le cas de Barcelone. Elle est devenue moderne, toujours pleine de vie, parfois nostalgique, maintenant son esprit dans le creux sa paume. Ce dernier vibre d'ailleurs ! Son ventre gargouille de petites rues aux sueurs acides. De longs filaments et ridules la parcourent dans un entrelacement joyeux et « bordélique ». Le visiteur ne peut se fier à son instinct. Il n'en a pas le temps. L'estomac de Barcelone le déroute, le piège, l'enferme, puis le libère. Il en ressort alors décontenancé, hébété, effrayé et émerveillé. La « Ciudad » garde dans sa toile beaucoup de proies consentantes. La Rambla del Raval, el Barrio Gotico, enivrent et fatiguent. Le voyageur s'en extirpe quand il peut, avec soulagement. Il retrouvera un peu de sérénité sur les pieds de la belle où il goûtera les odeurs iodées de la mer et du soleil. Il se laissera porter par le vent et il marchera encore et encore sur les rives de ses rêves, se prélassant de son indolence. Ah ! Barcelona ! Dure et belle, discernable dans ses recoins. Séduite, elle deviendra pour lui « la mujer al sombrero »*.
Mélusine
* « Ville de Lumière »
* « la femme au chapeau »