Pensée de la semaine qui suit (2) Novembre 2012

Publié le par Ecriture ouverte

"Depuis longtemps nous avons renoncé pour notre existence, à la religion de nos pères, à leur foi en une élévation rapide et continue de l'humanité ; à nous qui avons été cruellement instruits, cet optimisme prématuré semble assez dérisoire en regard de la catastrophe qui, d'un seul coup, nous a rejetés en deçà de mille années d'efforts humains. Mais ce n'était qu'une folie, une merveilleuse et noble folie que servaient nos pères, plus humaine et plus féconde que les mots d'ordre d'aujourd'hui. Et, chose étrange, malgré toutes mes expériences et mes déceptions, quelque chose en moi ne peut s'en détacher complètement. Ce qu'un homme, durant son enfance, a pris dans son sang de l'air du temps ne saurait plus en être éliminé. Malgré tout ce qui chaque jour me hurle aux oreilles, malgré tout ce que moi-même et d'innombrables compagnons d'infortune avons souffert d'humiliations et d'épreuves, il ne m'est pas possible de renier tout à fait la foi de ma jeunesse en un nouveau redressement, malgré tout, malgré tout. Même de l'abîme de terreur où nous allons aujourd'hui à tâtons, à demi aveugles, l'âme bouleversée et brisée, je ne cesse de relever les yeux vers ces anciennes constellations qui resplendissaient sur ma jeunesse et me console avec la confiance héritée de mes pères qu'un jour cette rechute ne paraîtra qu'un intervalle dans le rythme éternel d'une irrésistible progression."

 

Stefan Zweig, Le Monde d'hier, Editions Livre de Poche, p.19/20.

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